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Les sujets se télescopent dans ma pov’tite tête. Du coup, je vais essayer de ne pas être trop brouillonne, mais je ne garantis rien… Faudra pas m’en vouloir, hein ? Gardez dans un coin de votre tête que je voulais essayer. Le plus compliqué, c’est de savoir dans quel ordre traiter tout ça.
- « Je suis Charlie » : récup’, pas récup’, marketing, propagande ?
Pas évident de répondre à ça. Bon, déjà, de suite, je ne suis même pas sûre de pouvoir me le permettre : je fais partie des « vrais ». Pas de ceux qui ont soudain découvert l’existence de Charlie et qui s’en emparent comme d’un étendard, non. Du coup, j’ai tendance à me dire que je suis plus à l’aise pour brailler « je suis Charlie » dans un rassemblement, pour que tout le monde m’emboîte le pas (ce qui a été le cas, ce matin, à Romans). Oui, bon, clairement, c’est sûr que dans l’énorme masse des gens qui se déclarent solidaires, il n’y en avait pas beaucoup à l’avoir jamais lu, et encore moins, à l’avoir régulièrement acheté. Sans quoi, la rédaction n’aurait pas eu à s’arracher les cheveux à cause des difficultés financières, s’pas. Déjà, si je me montre pragmatico-cynique, je me dis qu’avec le rush des demandes d’abonnement, ils sont tranquilles de ce point de vue pour un petit moment, et ce même une fois que l’élan sera retombé. C’est dégueulasse de dire ça ? Possible. Reste que moi, je trouve que c’est bien pour eux d’avoir cette épine en moins dans le pied – ils ont déjà assez à faire avec tout le reste du bordel. Et puis, quelque part, c’est pour moi un plaisir retors de me dire que l’entrée du bal des faux-culs est payante.
Oui, Charlie était seul, bien seul, dans ses combats. Et c’était tellement inquiétant de voir ce dont il était accusé, alors même que c’était ce qu’il combattait, que, même si l’élan que nous vivons actuellement n’est pas toujours de bon aloi, c’est rassurant ; ça tendrait à dire que tout n’est peut-être pas pourri au royaume du Danemark. Mais évidemment, ça m’emmerde de penser qu’avec une mobilisation, certes moindre, mais tout de même importante quand Charlie a été taxé d’islamophobie (entre autres joyeusetés), on n’en serait peut-être pas là, et que, peut-être, Cabu, Charb et les autres seraient en train de préparer le prochain numéro comme d’habitude. Que les idées défendues n’avaient pas besoin que le sang coule pour être massivement soutenues. Mais si on rentre dans les faut qu’on y’a quà, on n’a pas le cul sorti des ronces.
Oui, ça me fait marrer et gerber tout à la fois de voir que des Poutine et compagnie seront présents ou représentés. Bien sûr. Tous ceux que Charlie a épinglés un jour ou l’autre pour non respect des droits de l’homme, pour malversations, pour tout un tas de raisons. Mais je m’en console en me disant que ça doit les faire chier encore plus que moi de se sentir obligés d’être présents. Notez que c’est peut-être parce qu’on se console comme on peut que cette idée me vient. J’sais pas, et j’m'en fous, au fond. Et puis, n’y a-t-il pas une chanson qui dit « si tous les cons pouvaient se donner la main » ?
Je crois que le plus important, ce n’est pas la réaction des gens « en vue ». C’est celle du peuple, ici, ailleurs, partout ou presque. Nous sommes en deuil. Moins, infiniment moins que ceux qui ont été touchés dans leur chair. Je ne compare évidemment pas mon ressenti à celui que doivent avoir la famille et les amis des membres de Charlie, du technicien, des policiers, des otages de l’hyper. Mais c’est un deuil tout de même. Et un deuil doit se faire, s’exprimer. Chacun semble se sentir un peu orphelin, c’est en tout cas l’impression que j’ai eue dans les rassemblements auxquels je me suis rendue, et dans ceux que j’ai vus aux infos. Et surtout, surtout, il y a ce sentiment, qui arrive tard, certes, mais qui a le mérite d’exister, que ce que défend Charlie est précieux, que c’est à nous, à nous tous, qu’on n’a pas le droit de nous le prendre. Dommage, en effet, que ce sentiment ait attendu qu’on essaie de nous arracher ces valeurs essentielles que sont la laïcité, l’anti-racisme, la liberté de presse et d’opinion.
Alors, à la limite, récup’, marketing ou autre, je m’en bats l’œil avec une babouche taille 42. Le deuil, c’est personnel. Reste que ça fait du bien de se sentir accompagné. Et j’espère que malgré ce que cela peut avoir de pesant (je suis persuadée que ça doit l’être) pour les survivants de Charlie, cela les aidera aussi à affronter les prochains jours, les prochaines semaines, les prochains mois. Parce que, d’accord, nous sommes tous en deuil à des degrés divers, mais nous, les anonymes, nous sommes exemptés de ce qui demeure le plus difficile : continuer. Nous n’avons pas à faire preuve de la somme de courage que cela représente.
Il y a ça et là des appels à boycotter la marche d’union républicaine. Pas d’accord ; ça revient à offrir cette manifestation aux représentants des états et des partis. Que représentent-ils, dans la foule massée ? Que d’. Peanuts. De la roupie de sansonnet.
Ces rassemblements, ils sont à nous, pas à eux. Charlie est à nous, pas à eux. La revendication de notre liberté, elle est à nous, et pas à eux.
Refuser cette manif’, c’est les laisser tout récupérer. Je ne suis pas d’accord avec ça. J’ai 22 ans de Charlie derrière moi, c’est largement suffisant pour savoir que résister, ça commence par le fait d’ouvrir sa gueule. Plus fort que ceux contre lesquels on résiste. On le sait, qu’ils récupèrent, on n’est pas dupe : c’est la base de leur boulot. Pour autant, hors de question de leur laisser récupérer ça. C’est à nous. On les tolère, et c’est déjà beaucoup.
L’incroyable courage dont Patrick Pelloux a fait preuve, de faire le tour des media, pour prendre la parole, et ainsi veiller à ce que l’image et les valeurs de Charlie soient respectées. Pour éviter, je le cite « qu’on dise des bêtises ». Il est resté debout alors même qu’on le sentait à chaque seconde sur le point de s’effondrer, alors qu’on sentait la ténuité du fil sur lequel il marchait, au bord du gouffre. Il l’a fait, dit-il, parce que les autres ne se sentaient pas la force de le faire. Il l’a fait alors même qu’il donne l’impression de ne jamais pouvoir se pardonner de n’avoir pas pu tous les sauver, lui qui a été sur place dans les premières minutes. Il a parlé, hébété; assommé, ivre de douleur. Je ne parviens même pas à réaliser ce que ça a pu lui coûter. C’est au-delà des mots. Il y en a d’autres qui ont pris la parole, et mon dieu que ça semblait dur. J’espère qu’avec le temps, le fait d’être intervenus en protégeant les autres leur permettra de se sentir un peu (un tout petit peu, sans doute) mieux. Que ça les aide à tout surmonter.
Après ? Je suis partagée. Mon côté idéaliste se prend à rêver que l’élan actuel va perdurer, moindre, mais toujours présent, qu’enfin on va avancer dans l’amélioration de notre société, que les valeurs humanistes vont retrouver leurs racines. Mon côté cynique pense à un soufflé qui va retomber jusqu’au prochain drame. C’est tout sauf évident, de jongler avec ces ambivalences. Même en moi, il y en a eu, ces jours-ci, des choses dont je ne suis pas fière. Je suis allée jusqu’à souhaiter que les salopards qui ont fait ça poussent les forces de l’ordre à les abattre comme des chiens. C’est tellement loin de moi que j’en étais malade de penser ça. Malade jusqu’à la nausée. Et je leur en veux, non seulement d’avoir tué ces gens, mais aussi d’avoir insufflé de la haine en moi. Moi qui n’avais jamais souhaité la mort de personne. C’est une virginité que j’aurais préféré garder.
Après, donc… Que faire après ça.
Il faudra, une fois le soufflé retombé, rester vigilants. Après le deuil, après le choc, après cette sensation d’irréalité, viendra le temps de la colère. Nous devrons la surveiller, cette colère, la dompter et l’atteler à notre charrette, pour qu’elle nous aide à avancer, sans pouvoir nous nuire. Transformer le brasier stérile en tisons. Ne pas tomber dans le filet des vilaines sirènes qui nous guettent. Conserver de cet élan commun l’idée, le souvenir, qu’ensemble, nous sommes forts, que nous pouvons être unis, que nous sommes le nombre, et que c’est le nombre qui détient la puissance, et qui peut faire bouger les lignes.
Surtout, surtout, même si on en vient à oublier tout le reste, n’oublions jamais qu’en ce moment, nous sommes ensemble.
N’oublions pas, non plus, que ceux qui se battent ne devraient jamais se retrouver seuls. Que Charlie n’aurait pas dû attendre que le sang coule dans ses murs pour rassembler. Que le poing fermé ne sert pas qu’à être foutu dans la gueule de « l’autre », mais qu’il sert aussi, brandi bien haut, à bout de bras, à montrer qu’on est là, qu’on se bat, qu’on refuse la barbarie et tout ce qui va à l’encontre des valeurs humanistes.
N’oublions pas qu’il y a des solutions à trouver ; que nous sommes devant une guerre inédite, sans autre frontière que celle qui sépare la barbarie de l’altruisme.
Après ? Je sais pas. Juste vous conseiller de continuer à acheter Charlie, mais aussi le Canard, et toutes ces revues satiriques. A notre niveau, on ne peut pas faire grand chose, individuellement : mais ça, on peut le faire. Parce qu’un pays sans satire, c’est un pays mort.
PS : et puis, arrêtez avec ces minutes de silence. Le silence, ça tue. Le silence, c’est le bruit de la mort. Faites du bruit, bordel.