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Les deux débarquements du 6 Juin 25 octobre, 2012
(Article publié peu avant la sortie officielle du « Jour le plus long » – Revue « Noir et Blanc » ?)
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J’ai débarqué deux fois ! La première fois, le 6 juin 1944 avec le 1er Bataillon de Fusiliers marins Commandos (Commando N°4) et la seconde fois par la grâce du général en chef Darryl Zannuck au cours de l’année 1961.
Je n’ai pas participé au film (*), mais j’ai suivi jour après jour le tournage des séquences qui m’intéressaient de très près : le débarquement du N°4 Commando, la prise du casino de Riva Bella, de la ville de Ouistreham, et la jonction avec la 6ème Division Aéroportée au pont de Bénouville. Je dois avouer qu’à travers ces deux débarquements, je ne m’y retrouve plus du tout…
Avant d’écrire « le jour le plus long », Mr Cornelius Ryan s’était sérieusement documenté sur tout ce qui avait trait au débarquement. J’ai moi-même conté à l’un des envoyés de Mr Ryan le côté de l’opération qui nous était particulier ; d’autre part, le livre de Kieffer qui commandait les Français du commando, « Béret Vert », retrace assez bien ce qui s’est passé ce jour-là. En possession de tous ces documents, Mr Ryan s’est borné à mentionner en deux lignes la participation d’un commando franco-britannique au débarquement (« ce n’est pas la faute de l’auteur s’il est américain ! »), et c’était déjà très aimable de sa part de noter le fait !
Du livre l’on décida de faire un film. Ce film devait être produit par Raoul Levy et mis en scène par Michael Anderson. Malheureusement M. Levy devait bientôt déclarer forfait, sans doute n’avait-il pas trouvé les capitaux nécessaires. C’est à ce moment qu’entre en scène M. Zannuck. C’était « son film ». Après tout, le débarquement, c’est une affaire américaine, non ? Le film sera « the greatest war picture in the world ». La vérité historique sera scrupuleusement respectée au détail près, déclara M. Zannuck.
On ne pourra pas en tout cas lui reprocher la faiblesse des moyens mis en œuvre ; l’Amérique lui prêta même une flotte de guerre. Il est bien évident que M. Kennedy n’aurait sans doute pas prêté une flotte de guerre à M. Levy s’il avait réalisé le film ! Seulement, voilà, une super production signée Zannuck, cela coûte cher ! Un peu plus de cinq milliards d’anciens francs pour « le jour le plus long » qui devient en fait « le jour le plus cher ».
Pour l’amortir, il fut décidé de projet simultanément le film en Amérique, en Angleterre, en Allemagne et en France. Pour que les spectateurs affluent, il faut intéresser chacun sur le plan national, voici pourquoi les quelques lignes de M. Ryan sur l’action du commando franco-britannique ont donné une série de séquences fort importante dans le film de M. Zannuck : la prise du casino de Riva Bella par les Français du N°4 Commando.
Voilà qui devrait nous faire plaisir ? Las ! C’est la façon Zannuck de traiter la « vérité historique » qui ne va plus ! Les renseignements pourtant ne lui manquèrent pas ! L’un de mes amis, Maurice Chauvet, membre de la section renseignement du Commando, fut pressenti pour tenir le rôle de conseiller historique. Maurice Chauvet, peintre de l’armée, est un garçon extrêmement pointilleux. Les détails, photos d’époque et croquis qu’il réunit furent d’une grande exactitude. En assistant avec moi au tournage de nos séquences, il fut épouvanté !
Mais faisons un peu d’histoire :
Le 6 juin 1944, le jour se leva vers cinq heures, la mer était dure, le jour gris et sale. Les trois troupes françaises étaient réparties sur deux barges pontées LCI portant les numéros 528 et 527. 177 officiers, sous-officiers et commandos. Toute la nuit, quand nous croisions au large, nous avions eu le temps de passer en revue les détails de notre mission. Depuis minuit, nous savions où nous allions débarquer.
Le N°4 Commando franco-britannique était placé en fer de lance à l’extrême-gauche du dispositif et le Haut Commandement de la 1ère Brigade de Services Spéciaux avait choisi les Français de Kieffer pour un ensemble de missions vitales.
Nous devions débarquer au lieu-dit « la Brèche » sur la plage de Colleville, nous débarrasser de nos pesants Rucksacs sur l’emplacement d’une ancienne colonie de vacances. Puis les 3 troupes devaient se séparer. Alors que la Troupe 1 avec les K.guns (troupe armée de mitrailleuses légères à tir ultra-rapide) gagneraient Riva-Bella par la route côtière, la Troupe 8 longerait la plage en direction de Ouistreham en éliminant tous les blockhaus et points de résistance afin de se joindre aux Britanniques du commando pour prendre le port et la ville de Ouistreham. La Troupe 1 dont je faisais partie devrait bifurquer sur le casino et le prendre ainsi que le belvédère, un autre point fort situé à proximité. Le casino fortifié par l’ennemi représente la clé du système défensif allemand.
Tout devrait être terminé vers onze heures du matin. Nous devions alors nous regrouper, reprendre les rucksacs et gagner par Saint Aubin d’Arquenay à marche forcée le pont de Bénouville pour y opérer la jonction avec les troupes de la 6ème division aéroportée parachutée dans la nuit.
Ensuite nous devions traverser le dispositif et gagner le Plein-Amfréville sur les hauteurs et nous y établir solidement pour y stopper les contre-attaques allemandes aux côtés de nos amis britanniques du N°4 Commando.
La barge qui transportait ma troupe, la Troupe 1, fut durement touchée, l’opposition sur la place fut très vive, nous étions tombés en plein sur un blockhaus, le temps de l’éliminer, la troupe ne comportait plus qu’une trentaine d’hommes valides et plus un seul officier.
Pourtant les missions furent remplies point par point. Mais le soir à Amfréville, quand nous fîmes les comptes, nous avions 50 % de pertes en tués et en blessés.
Voici quelle fut la journée des Français de Kieffer. L’histoire en elle-même était assez belle pour ne pas être déflorée.
Un objectif de l’importance du casino de Riva Bella fut pris par la Troupe 1 avec un effectif de 32 hommes sans officiers, à part Kieffer.
Ce chiffre fut communiqué à M. Zannuck avec preuves à l’appui.
Sa réponse fut :
« Les prises de vue seront faites d’un hélicoptère, je veux 250 hommes là-dessus. » Et c’est ainsi que dans le film, le casino sera pris d’assaut dans la foulée par une petite armée.
Le casino du « jour le plus long » fut construit sur la jetée de Port en Bessin ! A quelques 70 km de Riva-Bella ! Il est vrai que ce casino, construit sur les ordres de spécialistes d’Outre-Atlantique, ressemblait assez peu au véritable ! Vu d’Amérique, cela a donné une superbe pièce montée de deux étages construite dans le plus pur style normand ! Ah, il était bien joli, ce casino ! Le nôtre était plus modeste ! Rasé par les Allemands en 1943, il fut transformé en une plate-forme bétonnée qui culminait à 1,50 m du sol. C’est précisément à cause de cela qu’il nous coûta si cher !
« Si nous avons construit ce genre de casino, c’est pour pouvoir le faire sauter », dit M. Zannuck.
Là encore, la vérité oblige à dire que le casino n’a pas sauté ! Il fut démoli en 1947, à grand renfort de marteaux pneumatiques et de bulldozers. Non, MM. les Américains, nous n’avions ni le temps, ni les moyens de faire sauter le casino, nous nous sommes contentés d’y expédier quelques giclées de lance-flammes par les fentes de tir !
Je suppose que pour obtenir des services du Vatican la cote « B » pour son film, on aura mis aussi des religieuses dans le décor. Il faut bien qu’il se vende, ce film. Non ?
Par contre, et c’est dommage, on a à peine parlé de la camaraderie, du combat au coude à coude des Britanniques et des Français du Commando, ni de ce grand monsieur, le colonel Robert Dawson, commandant le N°4, de nationalité britannique, mais Français de cœur. Blessé à deux reprises à l’aube du 6 juin, il trouva le moyen d’aller de l’un à l’autre avec un mot pour chacun.
Et le menu peuple de Ouistreham ? Le Dr Poulain, 70 ans et barbe blanche, se dépensant sans compter auprès des blessés, et Mousset, transporteur local, qui trouva le moyen de passer le 6 juin en Angleterre pour y rejoindre sa femme grièvement blessée et évacuée avec nos soldats, et tous ces civils pleurant de joie à la vue de nos écussons « France ».
Il y aurait trop à dire, sans doute.
J’ai tenu à écrire ceci avant la sortie du film, car je sais bien qu’après l’avoir vu, beaucoup d’entre nous assureront que les choses se sont bien passées ainsi.
Non, M. Zannuck, vous n’auriez pas dû exagérer, truquer la vérité de cette façon. Continuez à faire des films sur la Guerre de Sécession, c’est plus lointain. Mais le débarquement de Normandie, cela s’est passé il y a seulement dix-huit ans. Les témoins oculaires n’ont pas tous eu le temps de mourir.
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(* NB : René Goujon a participé en tant que cascadeur et figurant, mais pas en tant que conseiller historique.)